Vogager pour exister
Les saveurs inoubliables des épices. Le thé à la menthe écœurant et en même temps délicieux. Les frissons devant ces constructions humaines millénaires. Les marchés publics là où les poules gambadent au milieu des étalages d’olives et de citrons confits. Et puis, ces trois jours dans les montagnes Rif, déconnectés de tout. Juste nous deux.
Maroc en sac à dos en juin 2014. Deux ans après notre rencontre. On était rendu à notre quatrième périple ensemble. On pensait être rodé.
Un trois semaines à traverser le pays du sud au nord, dormant dans des chambres sans air et mal insonorisées.
On voyageait, et c’était ça l’essentiel.
Visiter le plus de pays du monde. Se dépayser. Se sentir plus puissants que ceux qui n’avaient pas eu le courage de bouger du Québec.
Voyager pour détester sa réalité.
Tanger. Dernier après-midi du voyage. On buvait de la bière dans notre lit inconfortable de ce couvent transformé en auberge de jeunesse miteuse. Au Maroc, les bars se font rares. On avait déniché de l’alcool dans une épicerie, derrière un mur de fer, où seuls les hommes avaient accès. On marquait le coup de cette ultime soirée de liberté avant le retour de la routine.
J’avais hâte de retrouver mon lit. J’étais fatiguée. J’avais besoin de reconnecter avec un quotidien. Des habitudes rassurantes.
Tu ne supportais pas l’idée de retourner dans notre cocon. Tu devins de plus en plus désagréable, critiquait tout, me reprochant ma paresse. Tu n’étais pas capable de supporter l’idée du retour.
Tu gueulas ton mal-être pendant des heures.
À bout de souffle, je m’enfuis dans les rues de Tanger.
Je marchai autour de l’hôtel sans m’hasarder loin. J’aurais trop eu peur de me perdre.
Ce soir-là, l’idée m’effleura que peut-être je serais plus épanouie sans toi. J’eus des rêves de grandeur. Des rêves de vertige.
Mais la crainte de la solitude restait trop forte.
Tu me donnais un faux motif pour avancer. J’avais l’impression de progresser à travers des projets qui n’étaient pas vraiment les miens. J’avais un but.
Toute seule, j’aurais dû me trouver une passion, une excuse pour me lever du lit, une raison d’exister. Cela me semblait au-dessus de mes forces.
Le lendemain, tu souriais au petit-déjeuner devant les crêpes au miel; ton comportement s’était transformé.
On était bien. On était mieux que d’autres.