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Se diluer sous l’effet de gouttes d’eau mélancoliques

Lorsque Jeanne ouvrit les yeux, il pleuvait encore.

Elle aurait préféré se rendormir bien profondément pour oublier ce ciel morose, mais voilà trois semaines qu’elle se réveillait tristement beaucoup trop tôt, sans aucune raison puisqu’elle n’y avait rien d’autre à faire que de fixer les gouttes d’eau perler sur la fenêtre du salon.

Elle avait cessé de percevoir dans ce décor une certaine poésie mélancolique et n’y voyait plus que de l’ennui sans fin.

Sa seule distraction restait de sortir emmitouflée de la tête au pied pour faire ses courses, au coin de la rue.

Elle revenait à bout de souffle, le corps trempé et ne désirait que s’enfoncer dans des couvertures bien chaudes pour oublier cette humidité sale. Jeanne tournait en rond et se sentait dépérir doucement. Elle n’était pas faite pour le gris. Elle se nourrissait plutôt d’éclats colorés.
Jeanne déprimait, mais ne s’en rendait pas compte. C’était plus facile de mettre la faute de son humeur lugubre sur le temps maussade.

Mais en fait, un rayon ensoleillé ne l’aurait réconfortée que quelques minutes, avant de sombrer à nouveau dans sa noirceur intérieure, car Jeanne avait coupé contact avec le monde extérieur.

Elle ne se rappelait plus la dernière fois qu’elle avait adressé la parole à quelqu’un d’autre que le caissier de l’épicerie du coin de sa rue.
Jeanne, jeune fille rousse allumée, avec un prénom de petite vieille d’une autre génération, se sentait toujours déconnectée.

Elle n’arrivait jamais à être comme les autres. Toujours un peu à part. Plus il y avait de monde qui l’entourait, plus c’était pire. D’emblée, elle se disait qu’elle était différente, qu’elle n’était pas à sa place.

Elle n’était jamais assez moyenne pour rentrer dans le moule. Trop coincée. Trop excitée. Trop sobre. Trop ivre. Trop cultivée. Trop futile. Toujours trop. Jeanne ne réussissait jamais à rester dans la mesure. Elle ne savait qu’être excessive. Toujours trop.
Chaque fois qu’elle rencontrait du monde et ce, depuis son enfance, elle se faisait reprocher ses extrêmes.

Alors, un jour, elle avait cessé de croire qu’elle rentrerait dans le moule demandé par la société.

Elle avait décidé de baisser les bras et s’était réfugiée dans ceux réconfortants de la solitude au lieu de s’épuiser à se conformer aux attentes des autres.
Voilà trois mois qu’elle avait coupé contact avec tous. Elle avait réussi à atteindre une bonne vitesse de croisière dans son isolement. Elle avait maximisé ses habitudes. Tous les matins, à 10h14, lorsque tous les travailleurs avaient regagné leur bureau et qu’elle était certaine qu’elle croiserait le moins de monde possible, elle sortait marcher quatre tours de parc.

Si elle se sentait suffisamment en forme, elle se permettait un cinquième tour. Mais jamais plus. Elle avait trop peur de croiser des employés des compagnies voisines qui iraient manger leur lunch sur un banc public.

Elle passait alors par l’épicerie, sur le chemin du retour, et achetait de quoi constituer ses deux maigres repas de la journée – une tomate, un concombre, 2 tranches de jambon, une baguette et une petite bouteille de Coca-Cola – en lâchant un « Bonjour-Merci » à peine inaudible à l’épicier.

Comme elle ne mangeait pas beaucoup, elle réussissait à vivre de ses économies depuis le début. Elle craignait le moment où elle allait devoir retourner travailler.
Puis, le reste de l’après-midi, épuisée par sa balade, elle relisait les mêmes livres, sur son balcon, en regardant les gens passer de haut. Elle se sentait protégée des autres par les arbres et les oiseaux, qu’elle avait commencé à traiter comme des amis et à leur raconter des histoires. Elle avait beaucoup maigri mais elle ne le percevait pas, confortable dans sa robe ample.
Elle pensait avoir atteint un bonheur apaisant, isolée dans sa bulle.
Seulement, elle n’avait pas prévu qu’il se mettrait à pleuvoir sans interruption, pendant des semaines. De l’eau. Encore de l’eau. De l’eau de malheur. Elle avait l’impression de fondre un peu jour après jour. Seule. Dans un appartement minuscule qui sentait le renfermé car ouvrir la fenêtre pour aérer lui donnait constamment des frissons.

C’était fini à présent les marches autour du parc et les discussions avec les moineaux. Les journées n’étaient composées que de précipitations à répétition.

Elle imaginait les murs blancs suinter à longueur de journée, sa table de cuisine se décomposer de moiteur et sa douche se couvrir de champignons mouillés.

Tout son intérieur se dilua sous le déluge.

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