création littéraire fiction vide

L’étrange attrait du vide

Des bouteilles de vin vides. Des verres de cocktails tachés de rose. Quelques bières jonchant comme des cadavres. Des cendriers pleins de vieux mégots écrasés. Une petite culotte à terre. La sienne sûrement. Des assiettes vides graisseuses.
Martha n’arrivait même plus à se souvenir ce qu’ils avaient mangé. Le repas semblait loin dans sa tête et tout tournait autour d’elle.

Elle récupéra ses vêtements éparpillés un peu partout, faisant le moins de bruit possible et sortit héler un taxi. Elle devait faire l’ouverture du bar dans moins de trois heures pour le service du dimanche; celui que personne ne désirait; il n’y jouait aucun musicien.
Depuis un mois, elle voyait partir ces collègues ensemble après chaque service. De son côté, elle rentrait dans son studio regarder des séries télé stupides sur son ordi, en mangeant la même omelette accompagnée de légumes congelés. Toute seule, elle n’avait jamais le courage de se préparer un plat plus raffiné.

Parfois, lorsque le service n’avait pas été trop intense et qu’elle n’avait pas trop mal aux pieds, elle partait se promener seule, les écouteurs dans les oreilles. Il faisait chaud cet été et elle étouffait entre ses quatre murs, malgré son ventilateur.

Les jours de congé, elle s’allongeait à la piscine, lisait des revues superficielles et finissait la journée en se débouchant une bouteille de rosé, qu’elle buvait pratiquement au complet. Elle se sentait un peu seule et pleurait quelques fois. Mais elle avait choisi de tout quitter et changer de ville; il fallait s’accommoder de cette solitude.
Lorsque Louis lui avait proposé de se joindre à eux chez lui, ce soir-là, elle n’avait pas été capable de feindre un détachement. Elle était trop heureuse d’enfin leur montrer qu’elle pouvait s’amuser, elle-aussi.
Il leur avait servi des Cosmopolitain maison un peu trop forts. Louis parlait beaucoup, il était drôle, mûr de 10 années de plus. Il leur avait joué quelques morceaux à la guitare; il en possédait 8 ainsi qu’un petit piano électronique. Un artiste maudit contraint d’abandonner ses rêves pour subvenir à ses besoins. Martha admirait ces musiciens qu’elle imaginait si passionnés par la musique, qu’ils étaient prêts à sacrifier tout confort matérialiste et vivre de petits jobs, pour gratter leurs cordes à temps partiel. Alors que bien souvent, elle se trouvait face à des paresseux, trop défaitistes pour s’acharner jusqu’au succès. Mais Martha ne voyait que le vernis idéaliste recouvrant ces personnages romanesques et en tombait facilement amoureuse.
Dans le salon de Louis, Martha avait continué à boire. Elle travaillait le lendemain matin, mais rendue là, cela n’avait plus d’importance. Louis semblait s’intéresser à elle, lui changeait les idées et cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas passé une soirée à ressasser son avenir incertain et son passé sentimental douloureux.

Elle avait feint la légèreté devant lui et ri bruyamment en jouant avec ses cheveux dorés.
Louis était rentré apparemment dans son jeu, comme tous les autres. Il avait fini par l’embrasser lorsque les autres collègues étaient partis. Il ne lui plaisait pas vraiment physiquement, mais il allait lui permettre de se faire plus rapidement acceptée par les autres.
Après le service du dimanche, pourtant épuisée, elle accepta l’invitation de Louis de sortir boire des verres. Un des bars de la rue offrait les bières à moitié prix pour les travailleurs de la restauration. Plusieurs autres collègues étaient déjà attablés sur la terrasse, depuis la fin de l’après-midi, en compagnie de serveurs issus d’autres restaurants du quartier. Martha eut l’impression de se faire accepter par une petite famille.

Les conversations avec ces nouveaux amis, toujours teintées d’humour, ne dérivaient jamais sur des sujets pesants. Ils blaguaient sur tout et ne cherchaient pas à se poser trop de questions sur le sens de la vie. Ce vide arrangeait bien Martha. Elle fuyait les réflexions sérieuses et préférait jouer la facilité. Elle avait trop peur d’ennuyer son public et de le faire fuir quand il se rendrait compte qu’elle était bien plus qu’une jolie rigolote aux formes envoutantes. Or, dans cette nouvelle ville, elle pouvait faire croire n’importe quoi et particulièrement la légèreté.

Ce soir-là encore, Louis monopolisait l’attention; il lui parla de son enfance et de ses rêves. Martha ne se rendait pas compte qu’il parlait surtout à lui-même.
Elle rentra chez elle à 3h30 du matin; on les avait jetés hors du bar à la fermeture. Elle dormit toute la journée; ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant.

Elle eut l’impression de perdre un morceau de sa vie.
Le lundi, un souper maison était organisé avec la même petite bande. Troisième soir de suite à célébrer. Pour eux, c’était le quotidien. Beaucoup de bouffe, mais surtout énormément d’alcool. Louis avait joué de la guitare, mais ne se souvenait pas de la moitié des paroles des chansons. Martha regardait le tout avec un certain détachement ennuyé; sûrement le manque de sommeil. Elle finit par s’enfuir vers 2h, alors que la fête battait son plein.

Dans le taxi, elle se mit à pleurer doucement, sans bruit.

Elle avait réussi facilement à faire partie du groupe. Mais elle ne s’était jamais sentie aussi seule. Martha nageait dans le vide.

 

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