Des boosts de bonheur en conserve
Les paysages parcourus n’étaient pas magnifiques, mais montraient la réalité de l’Amérique; beaucoup de maisons préfabriquées en ruine, de caravanes décrépites ou de champs à perte de vue.
Ils traversèrent des villages déserts, composés d’une rue principale et de la station de service, faisant office aussi de magasin général et de pharmacie. Des décors d’une autre époque.
Juste avant de passer en 2017, ils firent un détour à Natchez pour contempler le coucher du soleil sur le Mississippi.
Là, devant le paysage majestueux, Kim ressentit un semblant de sérénité. Elle avait hâte que la nouvelle année commence. Elle allait forcément aller mieux.
Ils se louèrent une petite chambre dans un hôtel en bois et s’assirent au bar du coin. Ils commandèrent plusieurs verres de Bourbon, surtout Kim, ce qui choqua le barman peu habitué de voir une fille boire de l’alcool de dur à cuire.
Un band joua de vieilles chansons de blues et rock toute la soirée et elle décrocha pour la première fois, depuis le départ. La boule d’angoisse s’évapora au fur et à mesure que les musiciens enchaînaient les mélodies dépeignant une vie de misère du sud des États-Unis.
Max la fit tournoyer entre les tables, oubliant qu’il détestait danser et l’embrassa fougueusement au milieu du bar.
Dans la vie de tous les jours, beaucoup de choses les différenciaient.
Elle aimait leurs différences. Elle avait l’impression que s’ils s’entendaient sur tout, la relation serait trop simple, trop monotone. Ils stagneraient. Cela la confortait qu’ensemble, ils ne s’ennuieraient jamais. Finalement, elle avait fini par préférer le conflit à l’ennui.
Mais en vieillissant, Kim se lassa de se faire toujours défier sur les moindres détails. Max gardait une vision plus punk de l’existence; elle restait plutôt traditionnelle dans ses choix. Il refusait de se plier aux règles simples comme faire le ménage de son appartement, se coucher tôt en semaine ou ranger son linge propre.
Il fallait sans cesse tout remettre en question.
Pour Kim, la structure et la routine lui étaient nécessaires pour ne pas angoisser. Répéter des gestes la tranquillisait.
Cela le mettait hors de lui, qu’elle ne veuille pas toujours se révolter contre l’ordre établi. Il se donnait la responsabilité de la remettre sur le chemin de la révolution.
Max associait la liberté uniquement avec l’exode. Il lisait des blogues de voyageurs à temps plein et les admirait.
Pour lui, c’était seulement de cette manière qu’on pouvait accéder à l’émancipation, détaché de tout et en mouvement constant.
Évidemment, en voyage, on subissait en général moins de contraintes. On n’avait plus à se soumettre à la monotonie habituelle. C’était plus facile de se sentir affranchi.
Leur couple brillait surtout en vadrouille; ils carburaient aux péripéties, actions extraordinaires et discussions enflammées.
Entre les moments exaltants, il y avait le quotidien pas toujours harmonieux.
Comme ils voyageaient trois à quatre fois par année, c’était facile d’oublier les altercations. Ils se droguaient aux aventures et le reste du temps, ils se consolaient de leurs souvenirs.
Au milieu de leur salon, une immense carte du monde et des photos de leurs expéditions passées les gardaient dans la course effrénée de la découverte de la planète et leur rappelaient ces événements uniques qu’ils avaient vécus ensemble, loin de la réalité.
Bref, leurs bons moments se déroulaient toujours ailleurs. Des boosts de bonheur artificiel en conserve.
Ils célébrèrent le début de 2017 à La Nouvelle-Orléans en enfilant des cocktails Hurricane sur la Bourbon Street. La gueule de bois du 1er janvier fut désastreuse et oubliée dans une montagne de beignets au sucre.
Puis, il fallut rentrer et recommencer à travailler.
Reprendre la spirale métro-boulot-dodo et ne plus rien apercevoir à l’horizon que l’écran d’ordinateur et la tasse de thé à 9h pile.
Et se disputer chaque jour pour des détails insignifiants, tout en comptant les jours avant le prochain voyage.