Courts récits rédigés lors d’un atelier d’écriture au Jardin botanique
J’ai eu dernièrement la chance de participer à atelier d’écriture organisé par les Amis du Jardin botanique de Montréal.
Chaque mercredi matin du mois de juillet, accompagnée de 8 autres femmes, je pratiquais des exercices d’écriture, entourée de fleurs de toutes les couleurs et parfois perturbée par les canards avides de petits bouts de pain.
Chaque fois, nous avions quelques minutes pour écrire quelque chose, selon les consignes de la professeur, Diane Lambin. Celles-ci différaient pour chaque texte, mais avaient bien souvent rapport au contexte environnemental : le jardin, l’été, le son des oiseaux… Elle nous donnait des débuts de phrase à compléter, des mots à utiliser, des obligations de style… Cela m’a permis d’écrire sur différentes choses et de sortir des thèmes qui m’habitent habituellement.
Voici donc les petits écrits qui sont sortis de cet atelier d’écriture
Il était une fois une hémérocalle orangée qui rêvait de devenir un iris éclatant de mauve.
Tous les jours, se réveillant, à l’ombre des granurées, elle espérait que ses pétales qu’elle jugeait trop triangulaires et de mauvais goût s’étaient transformés en losanges élégants comme les iris qu’elle voyait de l’autre côté du sentier. Mais chaque matin la faisait soupirer de désespoir. Elle observait avec envie les iris toute la journée. Les passants s’arrêtaient clairement beaucoup plus souvent et longtemps devant eux, alors qu’ils semblaient se lasser rapidement de ses propres petits boutons noirs internes. C’était sa faute aussi, elle n’arrivait jamais vraiment à sourire et sa forme restait si simple, si facile à dessiner! Les granurées essayaient bien de la consoler, mais ils n’y comprenaient pas grand-chose, habitués depuis toujours à ne pas susciter d’admiration. Ils aimaient leur vie tranquille de fleurs sans couleur vive.
Un jour, pour marquer le 10e jour de naissance de l’hémérocalle attristée, 10 jours étant un beau record à célébrer au sein des fleurs, les granurées se penchèrent le plus loin qu’ils pouvaient et demandèrent de l’aide aux asters. En une nuit, ces derniers fabriquèrent un colorant avec l’eau de pluie, et au matin, en se réveillant, l’hémérocalle se retrouva avec de fins pétales violets tachetés d’orangeade. Le résultat n’était pas optimal, mais voyant l’effort que ces amis avaient donné, l’hémérocalle comprit que l’apparence n’était peut-être pas si importante et qu’au moins, elle était bien entourée!
On raconte que depuis, de nombreuses fleurs ont tenté de copier cette nouvelle couleur – mauve piqué d’orange, sans jamais y parvenir.
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Laurent glissa un mot dans la main de Marie et s’éloigna d’un pas décidé. Elle ne sut pas comment réagir. Elle n’avait jamais été bonne pour cacher ses émotions. Elle sentait trop de regards sur elle pour être capable de lire ce petit papier sans trahir le bouillonnement qui l’habitait. La sueur de sa main commençait à imbiber la note; il fallait faire vite avant que les mots disparaissent à tout jamais… ces mots qui pouvaient justement changer sa vie à tout jamais…
Voilà déjà 4 mois que Laurent et elle se rapprochaient. Elle se souvenait de son premier jour en tant que paysagiste au Jardin botanique. Elle l’avait tout de suite remarqué et trouvé séduisant, malgré ses cheveux en bataille et sa chemise de travail mal boutonnée. Cependant, elle avait enfoui son attirance au plus profond d’elle-même, se promettant de rester sérieuse. Pour la première fois, elle avait décroché un poste dans son domaine et il n’était pas question de se laisser aller.
Pourtant, au fur et à mesure des jours, ils avaient beaucoup discuté. Elle n’avait pas prévu qu’il serait en plus intéressant et qu’il la ferait rire autant. Au bout de deux mois, elle avait appris que Laurent était en couple alors qu’il ne l’avait jamais mentionné lors de leurs nombreuses discussions le long du ruisseau fleuri. Le drame! Furieuse, elle avait tenté de couper tout lien avec lui, mais c’était difficile lorsqu’il se retrouvait dans le même carré du jardin. L’attirance n’avait fait que grandir sous les yeux amusés des collègues qui comprenaient bien ce qui se tramait.
Et puis, ce matin, il avait débarqué, fiévreux et encore plus dépareillé que d’habitude. Alors qu’elle était en train d’étudier le déplacement d’un rosier qui n’était pas assez mis en valeur à côté d’un lys, il s’approcha et lui glissa ce mot fatidique.
N’en pouvant plus d’essayer de deviner ce qu’il lui avait écrit, elle prit son courage à deux mains, abandonna les roses à leur sort et se rendit à la toilette lire ce qu’il en était.
« Je suis assis près de la fontaine. Rejoins-moi. »
Marie oublia toute contenance et courut à toute vitesse le rejoindre.
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Lorraine arrivait toujours en avance à ses rendez-vous galants. Elle aimait se cacher le temps que l’autre arrive, puis elle observait l’homme les premières minutes, lorsqu’il était encore seul, angoissé par l’attente du premier rendez-vous.
Depuis le début du printemps, elle avait pris l’habitude de choisir l’étang aux canards du Jardin botanique. Elle vérifiait si le garçon en question acceptait son originalité induite par le lieu. Et elle avait toujours l’impression qu’au cœur de la nature, les gens montraient leurs vrais visages. Les masques étaient réservés à la ville, aux bars et aux restaurants. Les fleurs odorantes et les arbres imposants avaient le droit à la réalité, au beau comme au laid.
Pour Lorraine, c’était important de rester vrai. Elle assumait sa personnalité : une jeune femme marginale à l’allure sportive et à la chevelure flamboyante, un peu trop artiste pour la plupart des gens et avec un humour débordant, mais toujours un peu décalé.
Il n’y avait pas beaucoup d’hommes qui passaient le test du premier rendez-vous du jardin, et depuis maintenant trois ans, Lorraine avançait seule dans sa vie.
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Chaque fois que j’ai pensé toucher le fond, la nature était là pour me ramasser. Quand le chaos urbain de ma vie devenait trop assourdissant, je partais me réconforter au son des oiseaux. Le bruissement des fleurs, l’odeur de la rosée, les rayons lumineux sur les arbres matures… tout m’enchante, m’apaise, me revigore. J’aime simplement m’assoir et regarder les petits changements, imperceptibles à l’œil d’un être trop préoccupé par les tracas du quotidien. Pourtant, cela bouge constamment. Les papillons qui dansent, les fleurs qui grandissent, les feuilles qui prennent leur envol. J’ai besoin de la nature pour avancer d’une étape à une autre de ma vie. La respirer. La regarder. La rêver.
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J’ai longtemps imaginé une nouvelle vie avant même de comprendre qu’elle était possible. Je nous voyais ailleurs. Plus heureux. Plus épanouis. Plus apaisés. Ce n’était pas que nous n’étions pas satisfaits. Mais je sentais que nous étions capables de plus et que nous aussi, nous avions droit à une vie qui nous ressemblait davantage. Toute seule, jamais je n’aurais été capable d’y croire. Je me serais contentée de suivre les autres, un pas à la fois : aller travailler chaque jour, prendre le métro, s’assoir devant un ordinateur jusqu’à la tombée de la nuit, se coucher sans avoir entendu le son d’un oiseau ou senti une odeur apaisante.
Je me serais questionnée un peu bien sûr : est-ce vraiment la voie que je désire emprunter? Par contre, j’aurais vite balayé mes incertitudes de peur de me retrouver seule trop loin du troupeau.
Et puis, tu m’as regardé un matin et dans tes yeux bleus, j’ai vu mon rêve se concrétiser.